Les Méreaux de communion (ou « Marques » des Huguenots persécutés)
XVIème XIXème Siècles (texte anonyme issu d'une revue numismatique)
Quel protestant n’a entendu parler de ces jetons, recommandés par Calvin dès 1560 et par les Consistoires de paroisses, à la fois signes de ralliement et laissez-passer, humbles témoins de l’héroïsme huguenot ?
Lorsqu’au « Désert » un service de Ste Cène était prévu, chaque fidèle jugé digne d’y participer recevait du Pasteur ou Prédicant ou d’un Ancien, le « Méreau » qu’il devait présenter (et rendre) avant de communier. C’était la discipline du Secret… Ces « Marques », coulées en plomb, portaient suivant les paroisses divers symboles qui résumaient la Foi réformée : versets de la Bible, la Croix, le Bon Berger, la Coupe et les pains de la communion, palme, Agneau Pascal, ancre… ou qui exprimaient la dure souffrance de nos Églises à cette époque. Le « méreau » le plus célèbre et le plus finement exécuté représentait d’une part le Bon Berger sonnant du cor pour appeler ses Brebis, et d’autre part, une Bible ouverte sur Luc XII-32. Mais bien peu ont survécu aux cruelles tribulations de l’histoire huguenote quelques dizaines seulement sur des millions.
Comme les « Tesseres » et les « Plombs » de l’Antiquité, les méreaux ont servi, pendant tout le Moyen Âge, à de multiples applications comparables à celles de nos bons, cartes et tickets (distributions ou participations, contrôle d’identité ou de fiscalité). On en a fabriqué des millions, mais ils ont disparu pour la plupart car ils étaient faits d’une matière parfois « vile » et fragile. Au XVIème siècle, ils étaient partout d’un usage courant (civil ou ecclésiastique). Les Églises chrétiennes réformées (calvinistes) les ont utilisés à deux fins :
1° - Pour éviter la profanation de la Sainte Cène : les méreaux attestaient la foi et les mœurs de ceux à qui l’Ancien les remettait et ils évitaient le risque de permettre la communion à des espions, des fraudeurs, des catholiques romains, ou surtout à des relaps…
2° - Pour faciliter la perception des contributions ou taxes qui assuraient la vie maternelle des ministres du culte et l’entretien des temples.
Chaque paroisse était divisée en « quartiers », où les « Anciens » désignés par le Consistoire avaient la charge de distribuer les méreaux aux fidèles (qu’ils connaissaient donc parfaitement) suivant des modalités sévères et précises. D’après l’éminent historien J.Pannier, c’est à Paris rue St Jacques, que probablement pour la première fois, les méreaux ont servi de jetons de Cène aux Réformés. C’étaient des pièces en cuivre, fabriquées à la monnaie Royale, rue du Louvre.
Puis on connaît celui de Nîmes, en 1562. Et 2 ou 3 autres moins sûrs… C’est tout : il ne reste aucun des innombrables méreaux frappés ou coulés pendant un siècle dans la France entière. Les persécutions et les guerres ont tout détruit de ces pièces que les documents écrits nous décrivent et dont ils attestent l’emploi général.
Mais aux XVIIème siècle, quand les Églises réformées se rétablirent, clandestines, après le terrible orage de la Révocation, de nouveaux méreaux de communion furent utilisés çà et là. On les retrouve pendant un siècle, à partir de 1745 notamment en Poitou dans les « assemblées du Désert ».
D’autre part, les Protestants exilés les ont employés dans les Églises du « Refuge » qu’ils reconstituèrent en Hollande, en Allemagne, en Grande-Bretagne, au Canada et dans les colonies d’Outre-mer de tradition et d’organisation calvinistes (« tokens » ou gages, presbytériens ou baptistes). En général, on peut dire que les méreaux du XVIème sont en cuivre, au XVIIème en alliage de plomb et d’étain, et au XVIIIème en plomb, au XIXème (Refuge) en cuivre ou matières et formes diverses, et remplacés enfin par de simples cartes nominatives.
Parmi les anciennes coutumes que l’on rencontre dans l’histoire des églises wallonnes, il y en a une, oubliée depuis longtemps mais fort intéressante pour nous : c’est l’usage de distribuer des méreaux pour l’admission à la communion. Point n’est besoin de penser qu’il serait désirable d’introduire cette coutume à nouveau. Mais ce qu’elle peut nous apprendre, c’est le soin avec lequel les fidèles d’autrefois ont gardé le sacrement de la Sainte Cène.
Ce fut Calvin lui-même qui, avec Viret, lança l’idée d’employer des méreaux. En 1560, il écrit au Petit Conseil de Genève : « Que pour empescher la profanation de la Cène, il seroit bon que chascun allast prendre des marreaux pour ceulx de la maison qui seroient instruits, et les estrangers qui viennent ayant rendu témoignage de leur foi en pourront prendre, et ceulx qui n’en auront pas, ne seront pas admis ». À Genève, on refusa d’introduire l’usage des méreaux, mais les Églises de France ont donné suite au conseil de Calvin. C’est ainsi que nous trouvons cet usage en nombre d’Églises françaises où les méreaux ont servi 3 buts :
- But religieux : participation à la communion.
- But fiscal : ils étaient remis lors de la collecte pour les pasteurs du Désert.
- But policier : exclure les suspects des réunions.
Les Réfugiés ont apporté cette coutume dans tous les pays où ils sont allés. Nous savons qu’en 1582, le synode d’Anvers considérait l’habitude comme ordinaire ; parmi les églises qui la pratiquent, l’église de Gand est nommée. En1588, le synode exhorte quelqu’un qui ne voulait pas accepter le méreau « de suivre l’ordre accoustumé et pratiqué en nos Églises wallonnes ». On peut en conclure que toute les Églises wallonnes des Pays Bas (excepté celle de La Haye qui ne voulait pas suivre l’ensemble sur ce point) ont eu leur propre méreau.
Voyons maintenant ce qui subsiste de cela de nos jours. Il faut constater tout d’abord, que l’usage est presque complètement oublié. En 1869, un ancien pasteur de Delft affirme que « depuis un siècle au moins, il avait cessé d’être en usage ». Cependant nous avons pu constater, par les actes du Consistoire de Delft, qu’en 1812, l’usage était encore pratiqué. Et à Amsterdam, il est encore attesté en 1836.Les méreaux qui sont faits pour la plupart de matériaux très périssables, de plomb le plus souvent, ont disparu presque totalement. De forme ronde ou quelquefois carrée, ils portent d’ordinaire les armes de la ville, seules ou avec celles de l’Église. Mais on en rencontre aussi munis d’un texte : Jésus est Pain de Vie, Christ seul est tout, ou Cor. XI/ 28.
Nous avons effectué nos recherches dans nombre de collections et aussi à la Bibliothèque wallonne de Leyde. Voici ce que nous avons trouvé : trois méreaux différents d’Amsterdam, trois différents de Flessingue, un de Haarlem, un de Delft, de Middlebourg et de Rotterdam. Rien de plus. On peut difficilement s’imaginer que toutes les églises de grandes villes comme Utrecht, Zwolle, Dordt n’aient pas eu elles-mêmes un méreau. Aussi espérons-nous encore que d’autres documents seront trouvés dans des endroits jusqu’ici inconnus. Nous pensons de plus que ce sujet est d’assez grande importance pour l’histoire des Églises wallonnes pour qu’on puisse demander à tous ceux qui pourraient découvrir un de ces méreaux, témoins des temps anciens, de bien vouloir nous le signaler et permettre de fixer d’autres dates qui seraient perdues et oubliées à jamais. (Cf. Pasteur Marc Jospin « Écho des Églises wallonnes » Septembre 1955).
Les variétés poitevines ont sur la face une coupe et deux pains, sur le revers les initiales de l’église, généralement d’une facture fruste. On l’appelle « modèle eucharistique » ou « à la Coupe ».
Les méreaux au « Berger » forment un autre groupe, dispersés de la Saintonge au Languedoc (dits de Ste Foy ou la Tremblade etc…) et d’une incontestable valeur artistique. Ici la paroisse n’est pas indiquée (ou très rarement par une lettre) ; le détenteur l’est parfois, au moyen d’un numéro d’ordre. Sur les deux faces de la médaille figurent des éléments essentiels de la loi, résumés en une sorte de « Symbole », ou « Kérygme ». Les méreaux « à la Coupe » insistaient sur la communion réformée, sous les deux espèces. Les méreaux « au Berger » représentent au droit, Jésus qui appelle et garde ses brebis. Il a rassemblé celles qui paraissent au bord d’un ruisseau d’eau vive, paisiblement. Et le cor appelle la brebis égarée ; on peut voir ici l’importance que la Réforme donne à l’individu, à la personne humaine. Des Chênes (1 à gauche, 3 à droite) symbolisent la protection divine (force).L’artiste a peut-être encore voulu traduire quelque enseignement théologique ou mystique par les nombres 1,3 et 6 (moutons) comme on peut l’observer sur de nombreuses médailles, en ce XVIème siècle qui a tellement repris et développé l’usage des symboles.
Notons aussi que le pasteur de l’église, ministre annonciateur (cor) de l’Évangile, et conducteur du troupeau (houlette) est représenté par le berger lui-même. La croix porte-oriflamme qu’il regarde exprime le ralliement des Chrétiens autour du sacrifice de leur Maître. Cette croix symbolique est devenue étendard ; et le Christ n’y est plus cloué comme sur les crucifix mais il est bien vivant « au milieu de nous ». Au revers, le soleil de justice, à la face rayonnante de lumière, figure sans doute le Père et le Saint-Esprit (les rayons).
Puis la Bible, Parole de Dieu, où le texte de St Luc : « Ne crains point petit troupeau » est une assurance de salut pour le petit nombre de ceux qui ont cru, et une espérance pour les petites Églises réformées, si cruellement persécutées pendant trois siècles.
La facture du méreau de communion « au berger » révèle un art supérieur de la médaille, par l’élégance des formes, et l’harmonie de la composition. On peut l’apprécier malgré l’usure et la patine.
Il est probable que les rares exemplaires retrouvés sont des rééditions d’un méreau gravé par un artiste de la Cour de Navarre à Nérac, inspiré sans doute par le méreau « à l’ange pasteur » (attribué à l’Église de Charenton Paris) qui en serait le prototype, ainsi que de la « médaille du Bon Pasteur » frappée aux premiers siècles, en 450, sur le mausolée de Galla Flacidia à Ravenne, où « des brebis paissent paisiblement ; assis sur un rocher, un jeune homme vêtu d’une longue tunique d’or sur laquelle est jeté un manteau de pourpre, la tête majestueusement calme, encadrée à la fois par une belle chevelure blonde et par le nimbe d’or, s’appuie sur la houlette terminée par une croix, et de l’autre main caresse une brebis ».(Cf. Fillion Etudes Numismatiques p 311 éd. 1856 Paris).
En tout cas les numismates s’accordent à penser que le méreau « au berger » date nettement du XVIème siècle, du moins pour les exemplaires les plus anciens de ce type.
Cette belle médaille peut être comparée à la fameuse tessère du 1er siècle trouvée par Boyer d’Agen en mars 1897 à Rome. Sur l’une et l’autre le Christ est représenté Vivant. Sur l’une et l’autre un « symbole » de foi et d’espérance fonde la vie personnelle et communautaire du chrétien. Déjà, les historiens avaient rapproché les débuts de la Réforme en France des premiers temps du christianisme.
« La reprise du vieux thème au Bon Pasteur, rassemblant avec amour les brebis de son troupeau… n’est-elle pas l ‘indice d’un désir de paix et de concorde entre les fidèles longtemps divisés ? Un tel sentiment présidera au choix de ce motif sur certains méreaux protestants du XVIIIème siècle. » Cf. P . Bourget (Le Visage de Jésus p.77)
L’humble méreau calviniste, lourd d’un passé tragiquement humain, nous affirme ainsi l’éternelle Présence du Christ parmi ses témoins.
N.B. Le plus bel exemplaire du méreau au berger a été conservé dans la famille Rambeaud, à Breuillet (presqu’île d’Arvert) depuis deux siècles, et reproduit par M. Émile Benest en 1952.
Le moule, après être resté à La Tremblade, a été déposé au musée huguenot de La Rochelle.
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